Instauré depuis 2005 dans le cadre du protocole de Kyoto, le marché du carbone est le principal mécanisme de lutte contre la pollution. Ce dispositif repose sur un système d’échange de quotas de CO2, visant à inciter les entreprises polluantes à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais la récente hausse des prix de CO2 inquiète les différents acteurs du marché.
Comment fonctionne le marché du carbone ? Pourquoi le prix des quotas de CO2 augmente ? Quels impacts pour les professionnels de l’industrie ? Quelle est la corrélation entre prix du CO2 et prix de l’électricité ?
Tour d’horizon du marché carbone dans cet article.
Le marché carbone, c'est quoi ?
Le marché carbone, par le biais d’un système d’échange de quotas d’émission, est l’une des mesures phares visant à réduire les émissions de CO2 des entreprises les plus polluantes.
L’industrie est le cœur de cible : la sidérurgie, la cimenterie, le raffinage et la chimie sont les activités qui émettent le plus de gaz à effet de serre.
Parmi les autres secteurs les plus polluants, on retrouve bien sûr les producteurs d’électricité, et plus récemment, le secteur du transport. Au total, le marché carbone concerne plus de 12 000 installations en Europe, et pas loin de 1 000 entreprises industrielles françaises.
Ce mécanisme repose donc sur l’allocation de quotas CO2, 1 quota donnant « le droit » d’émettre une tonne de CO2.
Schéma présentant le fonctionnement du marché du carbone et des quotas CO2
Mesure provisoire mais qui perdure : certaines installations peuvent bénéficier de quotas gratuits afin de garantir leur compétitivité. Au terme de la période étudiée, les entreprises peuvent se retrouver dans deux cas de figure différents :
- Soit l’entreprise a émis davantage de CO2 qu’elle ne détient de quotas : l’industrie devra donc s’acquitter d’un nombre de quotas identique à son dépassement, sous peine d’une amende. Elle pourra acheter ses quotas manquants auprès d’autres entreprises, ou bien via le système des crédits de compensation.
- Soit elle a plus de quotas qu’elle n’a émis de gaz à effet de serre : si une entreprise se retrouve en « surplus de stock » de quotas CO2, elle peut décider d’épargner cet excédent pour les années futures (banking), ou bien choisir de vendre ses quotas supplémentaires sur le marché carbone.
Schéma présentant le fonctionnement du système d’échange des quotas carbone
Le marché du carbone est-il efficace ?
Le but du marché carbone est de permettre à l’Union Européenne d’atteindre ses objectifs climatiques en réduisant un peu plus chaque année le pourcentage d’émissions de gaz à effet de serre.
Les premières périodes de fonctionnement du marché carbone (2005 à 2012) n’ont pas été particulièrement probantes. En cause ? L’allocation des quotas gratuits. En effet, les États membres ont distribué, gracieusement, un volume conséquent de quotas carbone à la grande majorité des entreprises industrielles. Conséquence : la plupart de ces entreprises ont reçu davantage de quotas qu’elles n’en ont distribué et beaucoup de quotas ont même été inutilisés. Qui dit surplus de quotas dit chute brutale du prix du carbone !
Pour autant, cet excédent de quotas n’a pas profité à l’accélération de la transition énergétique de ces entreprises. Plutôt que d’être utilisés pour investir dans des actions de réduction de rejets de CO2, ces surplus ont finalement pris la forme de subventions nettes pour la plupart des gros émetteurs de gaz à effet de serre.
Ces quotas gratuits, initialement provisoires et destinés à assurer la compétitivité de certains secteurs industriels, sont donc largement remis en cause et devraient disparaitre graduellement.
Vers un marché carbone plus "sévère"
Pour exploiter au mieux l’efficacité du système d’échange de quotas, plusieurs ajustements progressifs ont été nécessaires, et sont encore nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone.
Dès 2013, un système d’achat des quotas aux enchères est mis en place et une réserve de stabilité du marché entre en vigueur en 2019. L’introduction de ces deux mécanismes ont fait leur preuve très rapidement : près de 4000 millions de quotas carbone ont été retirés du marché et le prix du carbone est passé de 7 à 25,5 € la tonne en un an. Résultat : les quantités d’émissions de gaz à effet de serre ont chuté de près de 9 % en 2019.
En avril 2021, l’Union Européenne a adopté de nouveaux objectifs en matière de décarbonisation : « Réduire d’au moins 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport au niveau de 1990 ». Des objectifs qui se durcissent donc, puisque l’objectif de réduction initial était fixé à 40 %.
Hausse historique du prix du CO2
Pris au dépourvu par ces nouvelles mesures, les industriels se sont empressés d’acheter des « droits à polluer » sur le marché du carbone, afin de se préparer aux nouvelles exigences environnementales. Dopées par les spéculations financières et la reprise économique, le prix des quotas CO2 a grimpé en flèche.
La tonne de carbone s’élevait à moins de 30 € en décembre 2020, elle a flambé de près de 50 % depuis le début de l’année. Début mai, c’est un record historique : les quotas de CO2 s’échangent à presque 50 € la tonne. La hausse du prix de CO2 est donc conséquente !
Et ce n’est que le début ! En effet, avec les nouvelles ambitions de l’UE en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, certains traders estiment que ce contexte haussier devrait perdurer. Si les autorités restent aussi sévères que prévu sur la distribution des quotas gratuits, la tonne européenne pourrait être valorisée à près de 100 € d’ici la fin de l’année…
Les industriels tirent la sonnette d'alarme !
Corrélation entre prix du CO2 et cours de l'électricité et du gaz
Le prix des quotas CO2 est l’un des 8 drivers principaux qui influencent les prix de l’énergie. En effet, le prix de la tonne de CO2 impacte le coût de production des centrales thermiques (à charbon ou à gaz), essentielles lors des périodes de pointe de consommation. Les producteurs d’électricité vont donc répercuter ces hausses de coûts sur la facture d’énergie des consommateurs.
Deuxième conséquence : lorsque les prix du carbone augmentent, les producteurs se tourneront davantage vers le gaz, énergie moins polluante qui demande donc moins de quotas de CO2. Dans une telle situation, la demande de gaz augmente plus que l’offre, entrainant ainsi une hausse du prix du gaz naturel.
Les nouveaux objectifs ambitieux de l’Union Européenne en matière de décarbonisation ont entraîné une flambée des prix de la tonne de CO2. Si ces dernières évolutions sont un excellent signal pour accélérer la transition énergétique, elles inquiètent les entreprises concernées par le système d’échange de quotas carbone. En effet, les coûts de production des industriels augmentent, le prix d’acquisition des quotas CO2 et les prix de l’électricité et du gaz suivent la même tendance, tandis que leurs capacités d’investissement dans des technologies bas carbone régressent.
Une situation alarmante donc, qui devrait perdurer avec la projection d’une valorisation à près de 100 € la tonne de CO2 d’ici fin 2021…
Si le marché carbone reste un mécanisme essentiel pour réduire les émissions de gaz à effet, de nouvelles mesures doivent être prises en compte afin d’exploiter au maximum son efficacité.