Nucléaire en France : des inquiétudes face à la fragilisation des réacteurs

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Le parc nucléaire français est souvent présenté comme un atout majeur de la transition énergétique. Cette électricité couvre plus de 60 % des besoins du pays. Pourtant, la capacité d’EDF à ajuster la production de ses réacteurs selon la demande pourrait être plus fragile que prévu.

L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a récemment signalé que les variations de production du parc nucléaire pourraient être l’un des facteurs à l’origine de certaines dégradations, notamment en lien avec la corrosion sous contrainte (CSC).

La CSC est un phénomène de dégradation des matériaux métalliques résultant de l’interaction de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le métal est soumis à des contraintes mécaniques, telles que des tensions ou des pressions répétées, qui fragilisent sa structure. Ensuite, son exposition à un environnement corrosif, marqué par la présence d’eau, d’oxygène ou d’autres substances chimiques, accélère son altération. Enfin, le type de matériau comme les aciers inoxydables affecte leur résistance à ce phénomène.

Un facteur clé de la disponibilité du nucléaire de 2022

En 2022, la corrosion sous contrainte a été identifiée comme l’une des principales causes de sûreté ayant conduit à l’arrêt de près de la moitié des réacteurs français, en pleine crise énergétique. Le problème provenait de microfissures détectées sur des circuits de refroidissement, compromettant le bon fonctionnement des installations.

Si l’origine exacte de ces fissures reste incertaine, l’ASNR pointe les ajustements fréquents de charge des réacteurs, nécessaires pour s’adapter aux fluctuations des énergies renouvelables. Ces variations pourraient modifier la concentration d’oxygène dans l’eau du circuit primaire, un facteur susceptible de favoriser la corrosion sous contrainte à long terme.

Un phénomène encore sous investigation

Selon Olivier Dubois, commissaire de l’ASNR, les variations de puissance nécessitent des apports d’eau dans le circuit, et certains de ces appoints peuvent contenir une concentration en oxygène plus élevée que la normale. Bien que ce facteur ne soit pas encore reconnu comme la cause principale de la corrosion sous contrainte, il fait partie des hypothèses étudiées. D’autres explications, comme des effets thermo-hydrauliques ou des réparations de soudures, sont également à l’étude.

L’enjeu est désormais de comprendre dans quelle mesure ces variations de puissance influencent la sûreté et la durabilité du parc nucléaire français.

Un défi pour la flexibilité du parc nucléaire

Si la modulation de puissance s’avère être un facteur aggravant de la corrosion sous contrainte, EDF pourrait faire face à un dilemme majeur. Depuis plusieurs années, l’énergéticien a renforcé le pilotage de ses réacteurs pour pallier l’intermittence croissante des énergies renouvelables. Cette capacité d’adaptation est essentielle pour maintenir l’équilibre du réseau électrique, mais elle soulève également des préoccupations quant à l’usure prématurée des installations.

Dans le secteur, certaines voix s’élèvent contre cette évolution, notamment vis-à-vis de l’essor du photovoltaïque, qui impose une fréquence accrue des ajustements de production nucléaire. Cette situation pose la question d’un compromis entre flexibilité et durabilité des infrastructures nucléaires.

Nucléaire et renouvelables : un équilibre délicat

Face à ces enjeux, l’ASNR adopte une posture prudente. Le président, Pierre-Marie Abadie, souligne qu’il est important de ne pas opposer les sources d’énergie. Il faut trouver un équilibre entre la sûreté, la flexibilité et la transition énergétique.

Selon lui, la prolongation de la durée de vie des réacteurs et le développement des énergies renouvelables doivent être envisagés comme des stratégies complémentaires pour assurer un approvisionnement énergétique stable et fiable.

Toutefois, l’ASNR reconnaît que les ajustements de puissance répétés pourraient affecter la longévité de certains composants des réacteurs, notamment dans le circuit secondaire. C’est un aspect que l’organisme souhaite approfondir avant de se prononcer sur une éventuelle prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans. EDF a déjà commencé à fournir des données techniques sur ses réacteurs de 900 MWe, mais une décision officielle ne sera rendue qu’en 2026.

Des vibrations inquiétantes sur l’EPR de Flamanville

Concernant l’EPR de Flamanville, l’ASNR ne se prononce pas sur la probabilité d’apparition de la corrosion sous contrainte sur ce réacteur de nouvelle génération. Toutefois, l’organisme insiste sur la nécessité de mettre en place des conditions optimales pour éviter ce phénomène sur les futurs réacteurs EPR2 que la France prévoit de construire.

Par ailleurs, 49 incidents de sûreté de niveau 0 et 1 ont été recensés lors de la mise en service du réacteur. Ces erreurs sont surtout due à des erreurs humaines. Si ces événements n’ont pas eu de conséquence sur la sûreté ou l’environnement, ils nécessitent une évaluation approfondie.

L’ASNR doit prochainement rendre son avis sur la demande d’ EDF de poursuivre la montée en puissance de l’EPR au-delà de 25 % de sa capacité. Cette étape sera déterminante pour la suite de son exploitation et pour les futurs choix énergétiques du pays.