La question du retour du charbon dans le mix énergétique français suscite l’étonnement, voire l’indignation. Alors que la France produit suffisamment d’électricité pour ses besoins et exporte même son surplus, la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle, a été remise en service. Ce paradoxe intervient dans un contexte de hausse des prix de l’électricité en Europe et d’échanges énergétiques accrus avec les pays voisins. Mais pourquoi relancer une source d’énergie polluante alors que le pays n’en semble pas dépendant ? Décryptons les raisons derrière cette décision.
Un contexte de surproduction énergétique en France
Depuis la crise énergétique de 2022-2023, la situation de la France s’est inversée. De pays importateur net d’électricité, la France est désormais exportatrice, atteignant des niveaux records d’exports, selon RTE (Réseau de Transport d’Électricité). Cette situation est permise par une production bas carbone qui repose essentiellement sur un parc nucléaire performant, des barrages hydrauliques en bon état et un développement progressif des énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire. De plus, la demande en énergie a légèrement baissé, ce qui réduit la pression sur le système électrique français.
Dans ces conditions, on pourrait penser que le recours au charbon est superflu, d’autant que cette source d’énergie est connue pour son impact environnemental élevé. Pourtant, la centrale de Saint-Avold a été relancée. Pourquoi choisir d’utiliser du charbon dans un contexte de surproduction ?
L’effet de la flambée des prix de l’électricité en Europe
La réponse se trouve en grande partie dans la dynamique des prix de l’électricité en Europe. Avec la montée en flèche des prix sur les marchés européens, notamment dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique et la Grande-Bretagne, la France profite de sa capacité de production excédentaire pour répondre à cette demande extérieure. En effet, des conditions météorologiques défavorables en Europe du Nord, marquées par un manque de vent pour alimenter les parcs éoliens et une vague de froid, ont intensifié la demande en électricité.
Cette situation a provoqué une hausse des prix sur les bourses européennes, comme celle d’Epex, où les prix ont dépassé les 300 €/MWh en Allemagne. En réponse, les producteurs d’électricité français, y compris ceux opérant des centrales à charbon, trouvent un intérêt économique à vendre sur le marché européen à ces tarifs élevés. L’électricité produite à Saint-Avold, bien que polluante, devient ainsi rentable à ce niveau de prix.
Une question de rentabilité et de stratégie
Pour GazelEnergie, l’opérateur de la centrale à charbon de Saint-Avold, le redémarrage de cette installation répond avant tout à des impératifs économiques. En effet, pour couvrir les coûts élevés du charbon, des quotas de CO2 et des frais de démarrage, la production d’électricité doit être rentable. Les prix actuels du marché permettent justement à GazelEnergie de générer un bénéfice en vendant son électricité, ce qui justifie le redémarrage de la centrale.
Ce choix s’inscrit également dans une stratégie visant à garantir la disponibilité de l’installation en cas de tensions hivernales sur le réseau. Avec la demande en énergie qui tend à augmenter durant cette période, notamment lors des vagues de froid, cette production de secours pourrait se révéler nécessaire. La centrale de Saint-Avold est d’ailleurs régulièrement relancée pour une vingtaine de jours en hiver, afin d’assurer un approvisionnement sans rupture.
Une source d’énergie marginale en France, mais stratégique
Contrairement à des pays comme l’Allemagne ou la Pologne, où le charbon occupe une place importante dans le mix énergétique, la France a quasiment délaissé cette source d’énergie. Le recours au charbon reste un « épiphénomène » dans l’Hexagone, comme le souligne l’économiste Jacques Percebois. En effet, le charbon représente moins de 1 % de la production annuelle d’électricité française. Ce redémarrage ne remet donc pas en question les objectifs climatiques du pays à long terme.
Le gouvernement français limite d’ailleurs le fonctionnement des centrales à charbon à 700 heures par an, et la France s’est engagée à abandonner complètement cette source d’ici 2027. Des projets de reconversion sont à l’étude pour ces installations, avec des pistes comme la biomasse, permettant de répondre aux pics de demande sans accroître les émissions de gaz à effet de serre.
Le redémarrage de la centrale à charbon de Saint-Avold symbolise le paradoxe de la transition énergétique : même si la France dispose de moyens de production suffisants et peu émetteurs, des impératifs de rentabilité et d’optimisation économique peuvent encore pousser à utiliser du charbon. Cette décision répond aux fluctuations du marché européen de l’électricité, dans un contexte de demande accrue chez nos voisins.
Cependant, il est important de garder en perspective que cette relance reste ponctuelle et marginale dans le bilan énergétique français. La France continue de réduire sa dépendance au charbon, avec une vision de long terme qui vise à assurer un approvisionnement durable et respectueux de l’environnement pour les décennies à venir.