L’industrie photovoltaïque en France se trouve à un carrefour crucial, confrontée à une menace grandissante qui pourrait bien redéfinir son avenir. Ces derniers temps, un sujet brûlant s’invite au cœur des discussions parmi les professionnels et les entrepreneurs du secteur de l’énergie : la France est-elle sur le point de faire face à une pénurie de panneaux solaires ? Une telle situation aurait des répercussions profondes non seulement sur la transition énergétique du pays mais également sur le paysage industriel européen dans son ensemble.
Un effondrement des prix aux conséquences lourdes
Au cours des douze derniers mois, le marché photovoltaïque a été témoin d’une baisse vertigineuse des prix des panneaux solaires, avec un effondrement de plus de 50%. Cette situation, bien que bénéfique à court terme pour les installateurs cherchant à maximiser leurs marges, masque une réalité plus complexe et potentiellement inquiétante pour l’industrie française et européenne. En effet, Julien Chirol, président de la filiale française de BayWa r.e. Solar Systems, souligne une possible pénurie de panneaux de qualité adaptés au marché français, malgré une apparence de stocks abondants au niveau européen.
Des stocks en trompe-l'œil
La perception d’un marché européen regorgeant de panneaux solaires est remise en question par des experts qui pointent du doigt l’absence d’organismes indépendants capables de vérifier l’état réel des stocks. La multiplication des expéditions de panneaux chinois vers l’Europe, en réponse à une augmentation de la demande exacerbée par la guerre en Ukraine, a certes gonflé les chiffres de stock, mais ces derniers pourraient être possiblement exagérés. Selon Julien Chirol, “ces évaluations nous semblent biaisées : certains stocks sont comptabilisés plusieurs fois lorsqu’ils circulent d’un entrepôt à l’autre. Surtout, ils ne tiennent pas compte des spécificités du marché français : seule une minorité de panneaux y sont adaptés.”
En effet, la majorité de ces panneaux ne répond pas aux exigences spécifiques du marché français, que ce soit en termes de bilan carbone ou de configuration fiscale favorisant certaines installations résidentielles.
En France, pour les installations photovoltaïques de taille moyenne à grande, ayant une capacité supérieure à 100 kWc, il est exigé que le bilan carbone soit inférieur à 550 kg eqCO2/kWc. Cette exigence est respectée uniquement par des panneaux solaires spécifiquement conçus pour répondre aux normes du marché français et certifiés par Certisolis.
Une concurrence chinoise écrasante
L’ombre de la concurrence chinoise plane lourdement sur le secteur photovoltaïque français. Avec une domination quasi totale de la chaîne de valeur de fabrication, la Chine inonde le marché de panneaux solaires à des prix défiants toute concurrence, conséquence directe de politiques étatiques volontaristes et de subventions massives. Cette situation met en péril des acteurs français tels que Systovi, fabricant de panneaux solaires depuis 15 ans et situé près de Nantes, qui se trouve dans l’obligation de chercher un repreneur face à une baisse drastique de ses commandes, symptôme d’une industrie en détresse.
“Malgré un premier semestre 2023 solide, Systovi fait face, depuis l’été, à l’accélération soudaine du dumping chinois, conséquence de l’augmentation du capacitaire et de la fermeture du marché américain, liée aux mesures protectionnistes de réduction de l’inflation (loi IRA)”, explique l’entreprise dans un communiqué.
L’absence d’un cadre réglementaire approprié a conduit à une invasion du marché par des panneaux solaires chinois vendus à perte, ce qui a sévèrement réduit le volume des commandes chez Systovi.
L’entreprise déplore le retard dans l’adoption de mesures réglementaires capables de rééquilibrer la compétition entre les différents acteurs industriels, telles que l’instauration d’un bonus de résilience ou l’interdiction de produits issus du travail forcé. Ces mesures tardent à être mises en place, ce qui laisse Systovi dans une position délicate face à ses engagements. Le Net-Zero Industry Act (NZIA), qui prévoit qu’un minimum de 30% des appels d’offres doivent inclure des critères de résilience avec des composants fabriqués en Europe, est vu comme une mesure positive, mais son application ne sera pas immédiate. “Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre deux ans pour des changements“, affirme Paul Toulouse, le directeur général de Systovi.
Devant cette réalité, “la recherche d’un repreneur est une décision logique qui reflète l’engagement continu de Systovi envers ses principes fondateurs et sa volonté de contribuer à un avenir énergétique durable”, a indiqué Paul Toulouse, directeur général de Systovi.
Relocalisation : une solution loin d'être simple
Face à cette dépendance problématique vis-à-vis des importations chinoises, la question de la relocalisation de la production photovoltaïque en Europe se pose avec urgence. Cependant, malgré la volonté politique et les initiatives industrielles visant à renforcer la souveraineté énergétique européenne, les obstacles sont nombreux. Les coûts de production élevés, comparés à ceux de la Chine, et les défis technologiques constituent des freins significatifs. De plus, les mesures de protection du marché européen et les efforts de réduction du bilan carbone des panneaux sont des leviers essentiels mais insuffisants à court terme pour contrer efficacement la suprématie chinoise.
Vers un avenir incertain
Dans ce contexte de tension et d’incertitude, l’avenir de l’industrie photovoltaïque française et, par extension, européenne, est en jeu. Le climat géopolitique tendu, marqué par les tensions maritimes en mer Rouge, a causé des retards de livraison allant de deux à six semaines supplémentaires pour l’Europe. Cette perturbation pourrait entrainer une pénurie de panneaux solaires en France et, par conséquent, pousser à l’adoption de panneaux de moindre qualité.
Alors que les professionnels du secteur, les décideurs politiques et les acteurs économiques s’efforcent de naviguer dans ces eaux troubles, la question demeure : la France et l’Europe parviendront-elles à préserver leur industrie photovoltaïque face à la concurrence chinoise tout en poursuivant leurs ambitions de transition énergétique ? La réponse à cette question façonnera sans aucun doute le paysage énergétique des décennies à venir.