C’est un débat qui alimente de nombreuses discussions : l’énergie nucléaire peut-elle être considérée comme une énergie verte ? S’il est vrai que son exploitation ne produit aucun gaz à effet de serre, la question se pose autour de son empreinte carbone et, surtout, de la gestion des déchets nucléaires.
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Qu’appelle-t-on une source d’énergie verte ?
Une source d’énergie verte, ou d’énergie propre, est une source d’énergie dont l’exploitation ne produit pas (ou très peu) de pollution. La géothermie, l’énergie solaire ou l’énergie éolienne peuvent être considérées comme des énergies vertes. A contrario, le pétrole, le gaz ou le charbon sont des énergies plus polluantes à l’exploitation. Notez que la traction animale ou la propulsion humaine sont des énergies vertes.
Une énergie verte se distingue d’une énergie renouvelable. En effet, une énergie peut se renouveler à l’infini mais être polluante. De la même façon, une énergie verte peut ne pas être renouvelable.
Cependant, l’exploitation ne constitue qu’une partie du cycle de production d’une énergie dite « verte. » Elle ne prend pas en compte les ressources mobilisées en amont, lors de la phase de construction, comme les métaux rares ou les minerais, ni la production de déchets d’exploitation ou encore la fin de vie de la source de production.
En considérant un cycle de vie complet de la production d’énergie, il convient que l’énergie propre n’existe pas et qu’elle est, dans tous les cas, un critère relatif.
Concernant l’énergie nucléaire, si son exploitation n’émet pas de gaz à effet de serre, les déchets nucléaires sont (très) polluants, et à très long terme.
Le nucléaire comme source d’énergie verte
Malgré tout, la Commission Européenne a intégré les centrales nucléaires au sein de son label vert destiné aux énergies. En agissant de la sorte, la CE reconnaît la relativité du terme “vert ou “propre“ accolé au mot “énergie“. En effet, si l’exploitation même de l’énergie est effectivement très peu ou non polluante, elle ne tient pas compte des autres ressources mobilisées en amont ou en aval de la production : l’extraction de métaux rares ou de minerais, la production de déchets voire le démantèlement et le recyclage d’une unité de production.
Reste à savoir si l’on doit intégrer tout le cycle de vie d’une technologie de production avant de la qualifier de “verte“ ou de “propre“. Toutefois, le but recherché par la Commission Européenne est d’encourager les énergies peu polluantes à l’exploitation afin d’atteindre des objectifs chiffrés ambitieux en matière d’émission de gaz à effet de serre et de sortir de l’exploitation des énergies fossiles. Dans ce cadre, l’énergie nucléaire est considérée comme une énergie verte. A ce titre, la distribution du label vert est interprétée comme une incitation à l’investissement vers ce type d’énergie.
Les émissions de CO2 du nucléaire comparé aux autres ressources
Pour bien comprendre pourquoi l’énergie nucléaire est considérée comme une énergie verte, il faut distinguer deux choses importantes :
- Les émissions de CO² ou de gaz à effet de serre liées à l’exploitation de l’énergie nucléaire ;
- Et l’empreinte carbone de la filière, de l’extraction des minerais d’uranium au démantèlement d’une centrale en passant par l’enrichissement du combustible.
En 2019, 69 % des français pensaient encore que l’énergie nucléaire était un contributeur du réchauffement climatique (selon un sondage Orano). Cette (dés)information est totalement infondée. En effet, la réaction de fission d’un atome d’uranium ne produit aucun GES (Gaz à effet de serre). Mieux encore, l’empreinte carbone du nucléaire est sans doute la plus faible de toutes les énergies.
A des fins de comparaisons, l’empreinte carbone est mesurée en grammes de CO2 équivalent (gCO2eq). Pour être tout à fait clair, sachez que l’émission d’1 gCO2eq, quelle que soit la source d’énergie, correspond à l’impact d’un g de CO² sur le climat sur un siècle, le siècle étant une convention adoptée par tous les scientifiques se livrant à ces calculs.
Différentes études ont été évoquées ces dernières années pour tenter de comparer l’impact du nucléaire sur le climat à d’autres sources d’énergies, vertes ou non. Nous passerons volontairement l’étude de Benjamin K. Sovacool de la National University of Singapore extrêmement controversée pour son manque évident de qualité, et nous retiendrons les données émises par le GIEC.
Selon ces données, l’énergie nucléaire émettrait dans le monde 12 gCO2eq/kWh. En France, compte tenu des technologies utilisées, un consensus est fait autour de la valeur de 6 gCO2eq/kWh. A titre de comparaison, et toujours à l’échelle mondiale, voici quelques chiffres des GES d’autres sources d’énergie (on parle bien de l’empreinte carbone totale et non seulement de l’exploitation de la ressource) :
- Eolien : 12 gCO2eq/kWh,
- Hydraulique : 24 gCO2eq/kWh,
- Photovoltaïque : 41 gCO2eq/kWh,
- Gaz naturel : 490 gCO2eq/kWh,
- Charbon : 820 gCO2eq/kWh
L’utilisation de l’uranium
L’uranium est le combustible par excellence utilisé dans les centrales nucléaires. Mais avant son utilisation, il passe par cinq phases :
- L’extraction du minerai (Etats-Unis, Canada, Australie, Russie, Afrique du Sud essentiellement) ;
- Le traitement chimique du minerai afin d’en obtenir le métal sous forme de poudre jaune appelée yellow cake. Pour 1 000 tonnes de minerai, on obtient entre 1,5 et 10 tonnes d’uranium concentré à 75 %. Le yellow cake est ensuite raffiné et débarrassé de ses impuretés ;
- L’enrichissement de l’uranium. Pour 1kg d’uranium, seul 7 grammes sont utilisables. C’est la proportion d’uranium 235, le seul à être fissile et donc à pouvoir servir au sein des centrales nucléaires. Il faut donc enrichir l’uranium afin que sa proportion d’isotope 235 soit plus importante ;
- La fabrication du combustible. A ce stade, l’uranium est devenu une poudre noire que l’on va comprimer et cuire au four afin de donner des pastilles d’un cm de long pour 7grammes environ. Chacune de ces pastilles est capable de libérer autant d’énergie qu’une tonne de charbon ! ;
- La consommation : les pastilles sont insérées au sein de tubes de 4 m de long, eux-mêmes regroupés par lots avant d’être plongés au cœur du réacteur pour une durée de 4 à 5 ans, temps pendant lequel les pastilles subiront des réactions chimiques de fission nucléaire .
La gestion de ses déchets
Dès lors que le combustible est épuisé, il est remplacé. Cette opération de remplacement s’effectue dans l’eau de façon à limiter le rayonnement radioactif. Ce combustible usé reste dans une piscine de refroidissement pendant 3 ans avant de rejoindre une usine de retraitement comme celle de La Hague, en France, plus grande usine de retraitement des combustibles nucléaires usés du monde.
Dans le principe, il s’agit d’opérer des traitements chimiques et mécaniques afin de séparer différents éléments du combustible. Certains de ces éléments seront réutilisables. EDF avance le chiffre de 96 % de combustible usé réutilisable. Les 4 % restant sont des déchets ultimes. Ils sont coulés dans du verre en fusion et entreposés.
Le souci lié aux déchets est double : la radioactivité et le volume croissant des déchets. Si bien qu’il faut trouver des solutions de stockage à long terme des déchets nucléaires vitrifiés. Ce qui est actuellement envisagé avec le site d’enfouissement souterrain de Bure.
Il existe en France 6 catégories de déchets radioactifs, classés en fonction de leur durée de vie et de leur activité :
- Les vies très courtes ou VTC ;
- Les très faibles activités ou TFA ;
- Les faibles et moyennes activités à vie courte ou FMA-VC ;
- Les faibles activités à vies longues ou FA-VL ;
- Les moyennes activités à vies longues ou MA-VL ;
- Les hautes activités ou HA.
A la sortie d’un réacteur nucléaire, une tonne de combustible va sortir 4 types d’atomes radioactifs :
- Les isotopes du plutonium, à vie longue (environ 100 000 ans) ;
- Les produits de la fission nucléaire comme le Césium 137 ou le strontium 90, à vie courte ;
- Le neptunium, l’américium et le curium, (les actinides mineurs) à vie longue mais à activité faible (par exemple, un noyau de Neptunium sur 31 000 émet un rayon sur une période de 100 ans. Le neptunium est ainsi 71 000 fois moins actif que le Césium 137…) ;
- Les autres produits de fission à vie longue.
Au final, la radioactivité des produits comme le Césium 137 disparaît au bout de quelques centaines d’années, mais la période du plutonium est bien plus longue. Quant aux actinides mineurs, bien que leur radioactivité soit de 10 à 20 fois inférieure à celle du plutonium, elles ont une période proche du million d’années…
La fusion nucléaire, l’avenir ?
A l’heure actuelle, l’énergie nucléaire est le résultat d’une fission nucléaire. Son principe consiste à casser des noyaux atomiques lourds et instables, comme l’uranium 235 par exemple, en les bombardant de neutrons. L’opération permet ainsi d’obtenir des noyaux plus légers, de l’énergie et d’autres neutrons qui, à leur tour, vont pouvoir bombarder d’autres noyaux atomiques, provoquant une réaction en chaîne contrôlée. Le découvreur de cette réaction en chaîne est le physicien Hongrois Léo Szilard. Il en dépose le brevet dès 1934 et parviendra à le démontrer expérimentalement en 1942.
A l’opposé de la fission nucléaire se trouve donc la fusion nucléaire, dont le principe consiste à fusionner deux noyaux légers en un noyau atomique plus lourd et plus stable (deutérium et tritium en hélium lourd par exemple). Néanmoins, la chose se révèle bien plus complexe et de nombreux scientifiques ont d’ailleurs conclu à l’impossibilité de parvenir à un tel résultat au cours du 20ème siècle. En effet, pour parvenir à une fusion entre deux noyaux à charges électriques opposées, il faut les placer dans des conditions de température et de pression extrêmement élevées. On parle d’état d’agitation thermique intense. Seul le soleil est pour l’instant capable d’émettre ces conditions. Il faut en effet parvenir à une température proche des 150 millions de degré !
Le réacteur expérimental Iter
Iter est un réacteur expérimental de fusion nucléaire en cours de construction dans l’arrondissement d’Aix-en-Provence. Là seront construits des réacteurs Tokamak, mot issu du Russe et pouvant être traduit en Français par « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ». En somme, il s’agit d’un anneau magnétique creux, inventé par Igor Tamm et Andreï Sakharov dans les années 50 et 60 du siècle dernier. Le plasma y est chauffé à plusieurs millions de degrés, donnant naissance à des réactions chimiques.
Le premier test de plasma (4ème état de la matière après les états solides, liquides et gazeux) au sein du réacteur Iter est prévu pour 2025 et la mise en service de la centrale n’est pas envisageable avant 2035. Dernière précision : afin d’éviter que le plasma ne fasse fondre l’anneau métallique, un champ magnétique contraint la matière au centre de l’anneau.
L’utilisation du Thorium
Une autre possibilité de création d’énergie d’origine nucléaire est l’utilisation du Thorium, présent en grand quantité sur Terre. Outre cet avantage non négligeable, le thorium dispose également de deux autres arguments de poids ; les risques d’accident nucléaire sont considérablement moindres et la production de déchets fortement réduite. Certains pays étudient très sérieusement cette option aujourd’hui. Les premiers travaux de projet de centrale nucléaire au thorium ne sont pourtant pas récents puisqu’ils datent des années 1950 et de l’ingénieur Français Edgard Nazare.
Le rôle du nucléaire pour la transition énergétique
Dans le cadre d’une transition écologique visant à réduire puis à abandonner les énergies fossiles émettrices de GES, l’énergie nucléaire trouve toute sa place. En effet, la logique de remplacement des moteurs thermiques par des moteurs électriques demande une forte production électrique supplémentaire que la mise en place d’énergies renouvelables ne peut combler à elle seule dans l’immédiat. Les projections font état d’une demande électrique supérieure au double de notre consommation actuelle à l’horizon 2050.
De fait, la sécurité d’approvisionnement du pays en électricité couplée à la transformation de tout le système énergétique ne peut passer (en partie) que par la production d’énergie nucléaire, décarbonée, seule solution pour assurer l’indépendance énergétique de la France à court et moyen terme.