L’Union européenne a adopté, le 24 juin dernier, une série de nouvelles sanctions contre la Russie, marquant une étape décisive dans la politique énergétique du continent. Parmi ces mesures, l’interdiction du transbordement de gaz naturel liquéfié (GNL) russe dans les ports européens représente une réponse directe aux enjeux géopolitiques actuels et aux préoccupations environnementales.
Contexte et portée de la décision
L’UE a pris cette décision dans le cadre de son quatorzième paquet de sanctions contre la Russie, visant à réduire les revenus que Moscou tire de ses exportations énergétiques, lesquels financent en partie son effort de guerre en Ukraine. L’interdiction entrera en vigueur après une période de transition de neuf mois, laissant le temps aux entreprises et aux infrastructures de s’adapter à cette nouvelle réalité. Cette mesure s’applique à tous les types de transbordement, y compris les transferts de méthanier à méthanier, de navire à terre, ainsi que les opérations de rechargement.
L’objectif principal est de priver la Russie de revenus substantiels issus de la vente et du transport de GNL, une source non négligeable de financement pour le Kremlin. Selon les estimations de l’ONG Bond Beter Leefmilieu, cette interdiction pourrait coûter à la Russie environ 687 millions d’euros par an en termes de revenus perdus.
Impact économique et stratégique
L’impact immédiat de cette interdiction sur l’approvisionnement en gaz de l’UE devrait être limité. Bien que la Russie ait exporté environ 4 à 6 milliards de mètres cubes de GNL via des ports européens en 2023, cette interdiction ne concerne pas directement les importations de GNL russe destinées à l’UE mais plutôt les opérations de transbordement destinées à des marchés tiers.
La décision de l’UE reflète une prise de conscience accrue du rôle des ports européens dans le transit du GNL russe vers l’Asie. En effet, une grande partie de ce gaz transite par les terminaux de Zeebruges en Belgique et de Montoir-de-Bretagne en France avant d’être réexpédiée vers des marchés tiers. Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste principale de l’énergie à l’Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière (IEEFA), souligne que l’UE a ainsi pris une mesure décisive pour limiter l’utilisation de ses infrastructures au profit de la Russie.
Répercussions sur le marché de l’énergie
D’un point de vue global, les analystes estiment que cette interdiction ne devrait pas entraîner une hausse des prix du gaz en Europe ou dans le reste du monde. La demande de GNL devrait diminuer dans les années à venir, notamment avec la mise en service de nouveaux projets gaziers entre 2024 et 2025. De plus, le doublement du temps de navigation pour les méthaniers brise-glace, nécessaire pour contourner les ports européens, pourrait réduire la capacité d’exportation annuelle du projet Yamal LNG de 3 milliards de mètres cubes, selon Angelos Koutsis de Bond Beter Leefmilieu.
Perspectives et mesures complémentaires
L’UE a également décidé d’interdire tout nouvel investissement ainsi que la fourniture de biens, technologies et services pour les projets russes de GNL en cours de construction, tels qu’Arctic LNG 2 et Murmansk LNG. Ces mesures visent à freiner le développement futur des capacités exportatrices de la Russie.
En somme, bien que l’interdiction de transborder du GNL russe ne modifie pas significativement la sécurité d’approvisionnement de l’UE, elle constitue une démarche stratégique pour affaiblir économiquement la Russie tout en préparant le terrain pour une transition énergétique européenne moins dépendante des combustibles fossiles russes d’ici 2027.
Cette décision s’inscrit dans une série d’actions plus larges visant à soutenir l’Ukraine et à réduire l’influence de la Russie sur le marché énergétique mondial. Les entreprises européennes du secteur de l’énergie devront s’adapter à ces nouvelles régulations, tout en anticipant les évolutions futures du marché global du GNL.